Les Indiens du Brésil

Les Indiens du Brésil forment une minorité très active au pays du Carnaval.

Au terme d’un demi-millénaire de domination, de stigmatisation et, dans le meilleur des cas, d’infantilisation, les Amérindiens ont retrouvé leur fierté et reconquis un certain nombre de leurs droits confisqués à l’occasion de la colonisation. Dont le droit à la terre.

On parle dès lors de renaissances indiennes. C’est un phénomène généralisable à toutes les Amériques.

Selon l’IBGE (=l’INSEE) la population des Indiens du Brésil est passée de 294 000 personnes en 1991 à 734 000 en l’an 2000, soit une augmentation de 150 % en 10 ans! A noter que la FUNAI (Fondation Nationale des Indiens), au nom de normes statistiques que je ne connais pas, estime quant à elle la population amérindienne à un peu moins de 450 000 individus en 2000.

Quel que soit le chiffre retenu, la population amérindienne du Brésil ne représente même pas 1 % de la population totale. Pour mémoire, en 1500, lorsque Pedro Álvares Cabral débarqua au Brésil, 6 à 9 millions d’Indigènes occupaient le territoire actuel du pays.

indiens-bresil2Le repeuplement des communautés amérindiennes n’est pas le seul produit d’une forte natalité, tout de même 3 fois et demi plus importante chez les Amérindiens que pour le reste de la population brésilienne.

Des facteurs culturels rentrent également en jeu et notamment la constance avec laquelle de plus en plus de Brésiliens se revendiquent comme étant membre d’une communauté amérindienne. Le baby-boom des Indiens du Brésil est ainsi inextricablement lié à une forte dynamique identitaire.

Au Brésil, on dénombre désormais 227 groupes d’Amérindiens (+ 46 groupes isolés, sans contacts avec le reste de la population) qui pratiquent 180 langues. Ils sont répartis sur environ 600 territoires (2005) dont la surface cumulée dépasse allègrement le million de kilomètres carrés, soit un peu moins de 15 % du territoire national (dont environ 25 % de la forêt amazonienne brésilienne).

A noter que sur les 227 groupes d’Indiens du Brésil, 12 ethnies comptent entre 5 et 40 membres.

indiens-bresil4Les conditions politiques de ce renouveau des Indiens du Brésil sont imputables à la Constitution de 1988, qui marque le retour à la démocratie de la société brésilienne. Pour la première fois, les Amérindiens acquièrent les mêmes droits que les autres citoyens brésiliens.

En outre, leurs prétentions territoriales sont prises en compte. La FUNAI hérite de la double mission de cadastrer les terres revendiquées et de protéger les populations amérindiennes.

Petit à petit, les Indiens du Brésil, dont on pensait la situation encore plus critique qu’elle ne l’était (au point que dans les années 1970 leur extinction massive était « programmée » vers 2010), sortent des bois dans lesquels ils avaient trouvé refuge et commencent à jouer le jeu de la démocratie.

 

En 2005, la FUNAI estimait avoir délimité 70 % des terres réclamées. Dans le même temps, elle estimait que 90 % des terres réappropriées par les communautés amérindiennes subissaient des invasions de la part des compagnies venues exploiter les richesses des sols. Parmi elles, de nombreuses multinationales d’exploitation du bois et des sociétés liées à l’agro-business (soja transgénique).

L’abattage massif et très souvent illégal qu’induit l’activité économique de ces entreprises a des effets désastreux sur certains groupes amérindiens. La situation des Guarani du Mato Grosso et des Cintas Largas d’Amazonie, deux peuples rentrés en contacts avec les « Blancs » en 1969-1970, est ainsi jugée critique, voire désespérée.

indiens-bresil8La FUNAI est aujourd’hui une institution controversée et critiquée autant par de puissants groupes d’intérêts que par des Indiens du Brésil. On peut toutefois lui rendre hommage pour avoir su largement aider les Indigènes à acquérir de véritables personnalités politiques, seul gage d’une autonomie possible en démocratie.

indiens-bresil9Dans le corpus de lois constitutionnelles relatif aux peuples indigènes du Brésil, il y a d’abord une reconnaissance politique des citoyens amérindiens déclarés, pour la première fois, égaux en droits alors qu’auparavant ils étaient assimilés à des mineurs.

Les lois constitutionnelles sont, de ce que je comprends, un genre de mise à niveau juridique à peu près similaire aux droits des Noirs-Marrons du Brésil, habitants les quilombos. Mais voilà : cela n’annule pas le statut de l’Indien.

indiens-bresil10Plus qu’une « simple » mise à niveau, est-ce qu’on ne peut pas parler d’un droit « séparé » ? Les Amérindiens ont certes été séparés du droit commun pendant 500 ans mais est-ce que le nouveau statut de l’Indien n’est pas assimilable à un genre de discrimination positive constitutionnalisée ? Et qui, a priori, ne dit pas son nom ?

C’est particulièrement flagrant depuis que le Brésil a ratifié en juillet 2002 la Convention 169 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) relative au peuples indiens et tribaux.

 

Quelle forme prendrait cette discrimination positive ? La terre !!! Tous ceux qui ont lu au moins une fois un article sur les structures économiques et foncières en Amérique du Sud savent que sa répartition est, au choix :

  • tellement inégale et archaïque qu’elle en est proprement féodale ou,
  • tout au contraire, par les paradoxes induits par le capitalisme financier, absolument moderne.

De fait, en Amérique, la terre vaut idéologie et histoire et le mot « Réforme Agraire » est aussi mortel qu’il le fut pour les Gracques de la Rome antique. C’est un mot qui tue des paysans et des présidents comme il tua d’anciens légionnaires et des tribuns de la plèbe. C’est un mot qui continue à tuer des Amérindiens. Mais sur leurs terres ! Et quelles terres ! 600 territoires qui cumulés représentent une superficie de 120 millions d’hectares.

Ce sont, dans l’ensemble, des territoires gigantesques et dévolus à seulement 750 000 individus, en prenant l’estimation la plus haute. Disons plutôt 15% du territoire national pour même pas 1% de la population.

La question polémique que je me pose est la suivante : Dans les États de droits post-coloniaux, existe-t-il de facto un régime juridique « séparé » pour les anciennes victimes d’un génocide, ou tout au moins victimes d’une domination totale reconnue comme crime contre l’humanité? Le passage du proscrit « sans droits » à celui de « victime absolue » n’introduit-il pas une nouvelle séparation au nom des mêmes déterminismes ? Comment ne pas y voir un genre de racisme à l’envers d’un État qui rétribue une population massacrée, sans pour autant avouer sa faute ?

Le Brésil n’a en effet jamais avoué publiquement le massacre des Amérindiens et ne semble pas prêt à le faire. Ce qui ne l’empêche pas de rétribuer des terres avec un certain volontarisme, quitte à expulser des centaines de milliers de personnes d’un territoire.

C’est ce qui s’est passé notamment le 15 avril 2005 lorsque le président Lula a entériné la session de 1,7 millions d’hectares où vivent 15 000 Indiens de 5 ethnies différentes. Session réalisée contre l’avis du gouvernement local, des agriculteurs, des éleveurs… et des 300 000 familles qui doivent quitter la réserve ! (Bernardo Gutiérrez, La Vanguardia, Barcelone, 2006).

Il ne s’agit en aucun cas de dénier aux Indiens du Brésil le droit à une juste rétribution. Mais pour qu’il y ait Justice, il faut au moins une victime, un coupable et un règlement judiciaire clairement établi qui mettent les deux parties à égalité. Sans quoi, la décision judiciaire ne sera pas acceptée comme « le dernier mot de la vengeance ».

Or, l’État brésilien, bien que refusant de reconnaître sa culpabilité, n’hésite pas à la faire porter sur des familles entières.

Là où la situation devient inextricable, c’est lorsque la présence de ces familles est imputable à la politique de colonisation de la junte militaire (1964-1985) qui a beaucoup œuvré pour peupler l’Amazonie en promettant des terres à des paysans du sertão ruinés par des sécheresses successives.

Ces damnés de la terre peuvent s’estimer doublement lésés : d’une part, la promesse d’une terre fertile a tourné court, le sol amazonien étant impropre à la plupart des cultures vivrières.

D’autre part, ils se voient à nouveau contraints à l’exode au nom d’une rétrocession faite à ce qu’ils considèrent comme une poignée d’Indiens et avec comme bénéfice des contre-parties financières qu’ils estiment bien souvent insuffisantes.

Dans un pays où meurt chaque année 50 000 personnes par homicide, la colère de ces familles peut rapidement virer au drame.

 

En Amérique du Sud, la terre est un enjeu permanent, les conflits agraires une constante et la mort le baromètre des contestations territoriales. En 2006, on estimait les conflits agraires relatifs aux territoires indigènes à près d’une centaine. Sur la décennie 1995-2005, 300 Indiens ont été victimes d’assassinat au nom de la terre, dont la moitié dans le Mato Grosso (soja).

En 2012, la présidente Dilma Rousseff a promulgué un nouveau code de la forêt qui fait la part belle aux multinationales et n’annonce rien de bon pour certains groupes d’Indiens du Brésil et notamment les Guarani du Mato Grosso.

Les possessions amérindiennes sont donc fragiles et sans cesse menacées par la folie productiviste et spéculative du modèle agricole brésilien.

Aujourd’hui, la culture du soja et l’élevage sont les principales causes de déforestation au Brésil. C’est au nom de ce désastre écologique que le Brésil arrive à être un des plus gros exportateurs de viande et de soja de la planète.

Pourtant, la faim continue à faire des ravages dans ce pays indéniablement riche. Par exemple, il y a quelques années, le cas de la petite Geria de la tribu Guarani Kaiowa avait ému tout le pays . A l’âge de 2 ans cette petite fille pesait tout juste 5 kgs.

Les premiers à pâtir de ces déséquilibres de l’économie brésilienne sont, comme toujours, les plus pauvres et notamment les populations amérindiennes dont le mode de vie et l’usage de leurs technologies traditionnelles nécessitent de vastes territoires sans cesse rongés par les multinationales ou les projets pharaoniques du gouvernement fédéral .

Mais ce qui a radicalement changé à la faveur des lois constitutionnelles de 1988, c’est la structuration politique des groupes amérindiens pour faire valoir leurs droits, que ce soit au niveau national où au niveau international. La lutte des 12 tribus mené par le chef Raoni contre le barrage de Belo Monte en est l’exemple actuel le plus emblématique.

 

Aujourd’hui, les Indiens du Brésil sont sur Facebook et Twitter, traduisent leurs pétitions dans toutes les langues internationales, font des tournées à l’étranger pour promouvoir leurs causes.

Beaucoup renouent avec un mode de vie traditionnel. L’usage de l’ayahuasca est réglementé mais n’est plus prohibé, malgré la dureté des lois anti-narcotiques.

Parfois, les Indiens du Brésil séquestrent des employés des multinationales où des fonctionnaires pour interpeller les pouvoirs locaux sur le dénuement qu’ils continue à subir.

L’Amérindien brésilien du XXIe siècle use ainsi régulièrement des techniques syndicales les plus radicales et exige une égalisation de sa condition au travers de la construction de dispensaires médicaux, de paires de lunettes et d’écoles (désormais bilingues)…

Lorsqu’il part chasser, c’est avec un GPS. Pas par peur de se perdre mais par soucis de contrôler l’intégrité de ses territoires.

Thierry Mercier

Bonjour ! Je m'appelle Thierry Mercier, et je suis le fondateur de brasilpassion.com, un blog qui célèbre le riche tissu de l'histoire, de la culture, du tourisme et des arts martiaux brésiliens. J'ai un amour profond pour le Brésil et une fascination pour son héritage diversifié, et j'ai fait de ma mission de partager la beauté et la complexité de ce pays vibrant avec le monde. Que vous soyez intéressé par l'exploration de monuments emblématiques ou que vous souhaitiez vous plonger dans les subtilités des arts martiaux brésiliens, brasilpassion.com est votre porte d'entrée pour débloquer l'essence du Brésil. Instagram / Email