Un mois dans la favela

On a passé un mois dans la rua 15, une favela un peu particulière qui se trouve à deux rues du centre historique d’Olinda (dont la beauté est classée au patrimoine mondial de l’humanité).

De fait, la rua 15 est une favela par défauts de construction. A la base ce quartier fut ouvert fin 2008 par Lula en personne et avait vocation à représenter une vision de la rénovation urbaine version PT.

Ce quartier populaire avait également vocation à redorer le blason de quelques grands instituts qui ont financé les travaux (dont la Banque Mondiale, partenaire majeur du projet).

L’objectif initial était alors de donner aux habitants les plus pauvres de la ville un habitat solide (quoi qu’un peu spartiate) et salubre. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mission a échoué !

Le système électrique est assez largement défectueux, l’eau a bien du mal à couler passé le rez de chaussée et surtout, miser sur la salubrité des lieux sans même avoir songé à recouvrir le système d’égout, c’est une connerie impardonnable.

Aussi, les habitations sont littéralement collées les unes aux autres et les murs isolent à peu près aussi bien qu’une feuille de papier…

Si bien qu’on se sent dans la rue même lorsque que l’on s’isole dans sa chambre.

On vit même plutôt dans 2 rues puisque l’imbécillité des plans de la banque mondiale a été jusqu’à adosser chaque logement à celui qui donne sur la rue parallèle. Les habitations de la rue 15 sont ainsi mitoyennes à ceux de la rue 15A, sans même un mur qui s’élève jusqu’aux toits à l’étanchéité est plus que douteuse…

Et c’est un triste paysage urbain qui s’étend sur un nombre incalculable de rues, toutes construites ou en cours de réalisation sur le même modèle ahurissant de bêtises.

La favela est ainsi faite que la pauvreté se donne en permanence en spectacle depuis sa fenêtre.

On entend depuis sa chambre des scènes de violence conjugale à peu près tous les week-end. En journée, on est assailli par le tube de brega du moment, qu’une adolescente en mal d’amour n’hésite pas à repasser 15 fois de suite à peu près tous les jours. Un truc à devenir dingue…

Les autochtones combattent stoïquement ces épisodes dépressifs en mettant leurs propres enceintes à contribution. Entre 16 et 17h, la favela devient le lieu de perdition de la musique : tout s’y mélange, du meilleur de la samba au pire de la brega. La bouillie informe qui arrive jusqu’à nos oreilles précipitent régulièrement la décision de sortir prendre l’apéro ailleurs… Dans un aéroport ou dans un tunnel automobile s’il le faut.

Le fait que le système d’égouts s’écoule à ciel ouvert n’empêche pas les gens de vivre dans la rue. Vers 17h, dés que le soleil se fait un peu plus discret, on installe une table au beau milieu de la rue et s’ensuit d’interminables parties de dominos.

Le week-end, c’est dans la rue qu’on boit des bières par caisses entières quand on ne se délocalise pas sur des plages urbaines réservées aux pauvres (celles où le prix de la bière reste très proche de celui pratiqué dans les petites épiceries de la favela).

Le dimanche soir, passé minuit, le bruit cesse d’un coup. Les tubes de musiques qui vantent l’amour, le mariage et la fidélité laissent la place au refrain plus musclé de la trahison. Les femmes hurlent sur leurs hommes, qui reviennent au domicile en descente d’alcool au terme d’une pérégrination hasardeuse de deux nuits en dehors du lit conjugal.

Curieux paradoxe de la société brésilienne. D’une part on adule l’amour, le plaisir de la chair à toutes les sauces (de la sublimation en période de Carnaval aux paroles pathétiques qui hantent la dance brésilienne…) D’autre part, hommes et femmes placent tout leur honneur entre les cuisses de leurs partenaires.

Dans un pays où l’honneur, la séduction et la fête fondent l’alpha et l’oméga de l’identité brésilienne, on comprend bien vite que la tentation de l’adultère est une épée de Damoclès qui menace de s’abattre à chaque fin de semaine. Alors pendant le Carnaval…