Pedro Cabral a-t-il découvert le Brésil ?

Pedro Cabral  a-t-il vraiment découvert le Brésil ? Plus de 500 ans après, la question fait encore polémique.  Voici un faisceau d’éléments qui alimentent cette discussion depuis si longtemps.

 

Un siècle avant la découverte attribuée à Pedro Cabral, les Portugais s’implantent sur les côtes africaines dans le but avoué d’arriver aux Indes par le contournement de l’Afrique. Ils y établissent des comptoirs, implantent des garnisons, exploitent des mines de métaux précieux, commercent avec des Africains et surtout développent leurs arts de la navigation, de l’astronomie et de la cartographie.

Pour cela, ils s’aident très largement des procédés mathématiques du monde hindouiste et arabo-musulman, notamment Ottoman, leurs ennemis déclarés qu’ils délogent petit à petit des côtes africaines.

C’était un effort onéreux en vies humaines et en navires (qui sombraient très souvent au milieu de l’Atlantique) et économiquement peu profitable. Mais au bout du tunnel, les Portugais savaient que si leur entreprise réussissait, ils deviendraient les fournisseurs exclusifs d’épices indiennes en Europe et couperaient les barbes au sultan ottoman et au doge de Venise par la même occasion.

De quoi faire fantasmer n’importe quel roi chrétien en cette fin de Moyen-Âge…

 

Le portugal en Afrique du Nord
Henri le Navigateur, instigateur de la colonisation africaine par le Portugal

Et voilà que, fortuitement, 6 mois après le retour des Indes de Vasco de Gama, concrétisant le rêve du siècle de tout un royaume, Pedro Cabral, chevalier de l’Ordre du Christ, découvre le Brésil au hasard d’une escale  ? Le mercredi 22 avril 1500, pendant la semaine de Pâques ?  Rien détonnant que ce scénario hollywoodien ait fait couler tellement d’encre.

Commerce du bois-brésil
D’autant que cette découverte “fortuite” de Pedro Cabral, baptisée d’emblée « Terra de Vera Cruz »   (« Terre de la Vraie Croix », comme s’il ne pouvait pas s’agir d’une Île…) épouse merveilleusement bien le méridien de Tordesillas, négocié âprement par les Portugais 6 ans auparavant.

Négocié par qui ? Un certain Duarte Pacheco Pereira (1460-1533), mathématicien “de terrain” au service du roi Jean II du Portugal et compagnon de cet immense navigateur et patron des arsenaux de Lisbonne que fut Bartolomé Dias… dont on n’explique pas certaines pages manquantes de ses carnets de bord lors de ses pérégrinations dans l’Atlantique Sud.

Bartolomé Dias accompagna Vasco de Gama lors de son voyage en Inde en 1497 puis Pedro Cabral jusqu’au Brésil avant de disparaître en mer en tentant de franchir à nouveau le Cap de Bonne-Espérance.

En outre, il y a tout ce messianisme porté par Dom Manuel Ier (1469-1521). Aussi, en bons catholiques, les rois du Portugal ne pouvaient justifier la colonisation africaine par le seul plaisir de la découverte et la promesse d’un pactole une fois la route des Indes ouvertes. Non, il s’agissait en premier lieu de convertir ces pauvres païens polygames et anthropophages d’Africains tout en cherchant à rallier les quelques Indiens nestoriens qui subissaient le joug de ces infidèles d’Ottomans depuis trop longtemps.

Avec la foi, si les pas des Portugais étaient bien ceux désirés par Dieu, ils trouveraient aux Indes le renfort d’autres soldats du Christ, celui du mythique royaume du prêtre Jean et de ses incroyables richesses. Avec son aide, ils anéantiraient les Musulmans, évangéliseraient l’Inde et pour avoir fait œuvre de Dieu, obtiendrait de Lui l’effacement de leurs péchés. Manuel Ier Le Fortuné serait ainsi le monarque dépositaire d’un Nouvel Âge d’Or pour la chrétienté.

Aussi, en 1500, les craintes messianiques de la Fin des Temps, celles d’une apocalypse imminente, battaient leur plein. On brûlait les sorcières, les pogroms contre les nouveaux chrétiens (juifs récemment convertis) se multipliaient. Derrière l’angoisse eschatologique de cette fin de siècle, le Vatican et les Rois catholiques manœuvraient insidieusement pour établir une Inquisition au royaume du Portugal.

L’idolâtrie, au travers du commerce florissant des reliques, menaçait de dévoyer le culte catholique. L’Église, le premier des trois ordres des sociétés d’Ancien Régime, n’allait pas tarder à traverser le pire schisme de son histoire, plongeant l’Europe dans une sanglante guerre de religions.

 

Jacob de Backer, le Jugement Dernier, vers 1580
Dom Manuel I
Dom Manuel Ier pensait il vraiment tomber sur un prêtre Jean en armure, caracolant sur un éléphant, attendant sa venue depuis des siècles pour lui ouvrir ses coffres-forts, partir en croisade contre les ennemis de la “vraie foi” puis monter un business inter-continental sur les épices   indiennes ?

Pour certains marins et aventuriers de renom, ça ne faisait aucun doute ! Mais pour le roi ? Quelle aubaine d’ouvrir la route des Épices et d’envoyer dans le même temps tout un tas d’indésirables, quitte à vider les prisons, aller quérir le royaume du prêtre Jean… au Brésil !

C’est en tout cas dans ce contexte messianique que Pedro Alvares Cabral débarque au Brésil, un certain mercredi 22 avril 1500 et qu’il y découvre, un peu éberlué, le « bon sauvage », image sans doute construite par opposition au nègre païen, polygame, cannibale, voire musulman…